Le député, Ange Ballestra, sortit de son appartement avant le lever du jour. Il tira la porte d’entrée avec précautions, pour éviter de faire du bruit, et, bien que sa femme soit encore couchée, donna deux tours de verrouillage à la serrure multipoints. Quand on est un homme public, on n’est jamais trop prudent.

Ange sourit en voyant que l’ascenseur était arrêté devant son palier. Dans cet immeuble cossu, occupé en majorité par des personnes âgées, il en était souvent ainsi. Il était généralement le dernier à rentrer le soir et le premier à sortir le lendemain. Il pénétra dans la luxueuse cabine et, comme tous les matins, s’observa longuement dans le miroir qui occupait l’intégralité de la paroi du fond. C’était un homme de grande taille, à la silhouette et aux traits alourdis par trop de bons repas. Malgré ses soixante ans, il possédait encore une crinière abondante, qu’il faisait teindre soigneusement et fréquemment en brun. Il était vêtu d’un jeans et d’une chemise en coton bleu. Sa chemise était ouverte sur son poitrail velu et barré par une chaîne en or à lourds maillons. Après quelques mimiques, pour essayer d’effacer ses bajoues, il fit une grimace et appuya sur le bouton-poussoir du sous-sol. Il avait du mal à accepter de vieillir et cette confrontation matinale, avec le miroir, devenait de plus en plus pénible pour lui. Comme chaque jour, il se demanda si la glace serait remplacée, s’il la démontait discrètement pour la faire disparaître.

 

Quelques instants plus tard, le député quittait le parking souterrain au volant de sa puissante Mercedes 320. Après avoir dévalé les pentes du Mont-Boron, il emprunta la promenade des Anglais en direction de Cagnes-sur-Mer. Bien qu’il ne fût pas encore 6 heures, la circulation était déjà assez dense. Il était impatient d’atteindre son but et conduisait vite. Arrivé au Cros-de-Cagnes, il s’arrêta près de la petite église, dans ce quartier en bordure de plage, qui lui faisait penser immanquablement à la petite ville de Fort-de-L’eau, qu’il avait connu au cours de son service militaire en Algérie. Au cours de « sa guerre »…

Lui qui était trop jeune pour avoir été Compagnon de la Libération, comme la plupart de ses grands aînés en politique, mettait en avant son appartenance aux anciens combattants d’Algérie, où il avait été rappelé après les événements de 1956. Il y avait accompli son service comme moniteur d’éducation physique, ce qui lui permettait de proclamer qu’il avait eu vingt ans dans les Aurès, comme tout un chacun.

Il entra dans une boulangerie-pâtisserie pour acheter du pain, des croissants, des brioches au raisin et un exemplaire du journal Nice-Matin. Remontant dans sa voiture, il démarra en direction de l’intérieur des terres. Quelques minutes plus tard, il stoppait devant une petite villa, dans un quartier résidentiel encore profondément endormi.

Après avoir refermé sa portière, en veillant à ne pas faire de bruit, il ouvrit le portail du jardinet qui séparait la maison de la route. A pas de loup, il atteignit la porte-fenêtre qui donnait accès à l’intérieur de la villa. Il commença à ouvrir la serrure avec beaucoup de délicatesse, quand un glapissement de petit chien lui parvint de l’intérieur du logement.

·     Sage Sophie ! Soit sage ma belle chienne !

Ballestra murmurait à voix basse des propos apaisants pour que la chienne le reconnaisse et ne se mette pas à aboyer. Quand la fenêtre fut ouverte, la minuscule chienne Yorkshire se précipita à l’extérieur en se tortillant comme un ver. Elle était partagée entre le désir de faire des fêtes au député et celui, non moins pressant, de soulager sa vessie dans le jardin. Après une hésitation de plusieurs secondes, qui lui permit de recevoir quelques caresses et de consteller le sol de la terrasse de tâches d’urine, elle se précipita vers la terre cultivée. L’homme attendit patiemment qu’elle revienne, ce qu’elle ne tarda pas à faire, toujours en courant. Il aimait beaucoup ce petit animal, qui le lui rendait bien. Après avoir traversé la cuisine du logement, le député parvint, en suivant un couloir, à la salle de bain. Il se déshabilla hâtivement, tout en caressant et en repoussant tout à la fois l’envahissante bestiole, qui lui témoignait son amour avec ardeur.

La chienne étant un peu calmée et lui s’étant complètement dévêtu, il se dirigea vers une chambre obscure. Il entra dans la pièce et referma la porte derrière lui. Sans allumer l’éclairage, il se dirigea à tâtons vers le lit, qu’il devinait plus qu’il ne voyait. Le souffle régulier d’une dormeuse le guidait dans sa recherche. Il souleva le drap et pénétra dans le lit. En glissant sur le côté, il vint coller son corps nu contre le corps chaud de sommeil de son accueillante secrétaire. Sans se réveiller tout à fait, la jeune femme lui ouvrit les bras.

Une fois de plus, Ange Ballestra fut émerveillé par la capacité qu’avait sa maîtresse de passer sans transition du sommeil à l’amour. Quelques secondes seulement après qu’il fut entré dans le lit, elle était déjà vibrante de désir et en pleine action amoureuse. Comme s’était fréquemment le cas, la journée du député commença sous les meilleurs hospices. Grâce à l’ardeur de sa partenaire, il connut pendant vingt minutes une grisante sensation de puissance qu’aucun acte de sa vie politique n’avait jamais réussi à lui faire ressentir. Pétrissant entre ses grandes mains le petit corps tremblant de plaisir, il avait l’impression de le dominer totalement, alors que tous ses gestes étaient en fait au service de l’insatiable besoin de jouissance de la jeune femme. Quand, enfin, elle retomba pantelante sur l’oreiller, il profita de l’accalmie pour se lever, enfiler un peignoir et filer à la cuisine mettre de l’eau à chauffer pour le café.

La petite chienne lui fit à nouveau des fêtes, comme si elle ne l’avait pas vu depuis plusieurs jours. Pendant que sa compagne prenait un bain, il prépara avec soin la table du petit-déjeuner. Lui qui ne participait jamais à aucune tâche ménagère chez lui, prenait apparemment beaucoup de plaisir à le faire chez sa maîtresse.

Quand Elisabeth le rejoignit à table, tout était prêt pour la collation. La jeune femme était souriante, fraîche et détendue. Elle avait revêtu un déshabillé très léger qui laissait augurer qu’elle espérait encore recevoir d’autres hommages de son amant. Elle but avec une satisfaction évidente le jus d’orange qu’il venait de lui servir et alluma sa première cigarette, en approchant d’elle sa tasse de café fumant.

Ce goût pour la cigarette, était l’un des seuls points noirs que le député reconnaissait à sa secrétaire très particulière. Quand elle le vit, une fois de plus faire la moue en la regardant fumer, elle lui dit sur un ton moqueur.

·     Si je ne fume pas une cigarette après l’amour, mon plaisir n’est pas complet. Il y a quelques instants tu étais bien content que je fume un gros cigare et voilà qu’à présent tu me reproches une toute petite cigarette.

La moue du député s’accentua, la crudité de ses propos était un autre des points noirs qu’il reprochait à son amie. Originaire d’un village de la montagne corse, Ange Ballestra était profondément marqué par l’austérité des mœurs qu’il avait connue enfant dans une famille pauvre. Dans son milieu natal, l’image de la femme était encore sublimée comme celle d’une madone et elle devait être, tout à la fois, chaste et féconde, affectueuse et réservée. Bien que, dans l’obscurité complice d’une chambre à coucher, il laissât volontiers libre cours à ses fantasmes sexuels qui connaissaient alors peu de limites, il était très pudique dès que la lumière s’éclairait. La jeune femme voyant que l’humeur de son ami risquait de se détériorer de façon durable, se leva et, mutine, vint poser ses lèvres sur son front.

·     Allons, mon « Ange », ne boude pas, je plaisantais. Tiens, regarde, j’éteins ma cigarette.

Joignant le geste à la parole, elle écrasait celle-ci dans un cendrier. Conscient que c’était pour elle un gros sacrifice, le député se contenta du témoignage d’amour qu’elle lui offrait avec ce geste et l’encouragea à allumer une autre cigarette, ce qu’elle fit sans se faire prier. Elle pensa qu’il était temps de changer de conversation.

·     C’est aujourd’hui que tu vois ce Pepino ?

·     Oui, en tout début d’après-midi.

·     Méfie-toi de lui ! Ce bonhomme je ne le sens pas.

·     Il est pourtant sympathique !

·     Un gangster qui ressemble à un représentant de commerce… J’aime bien que les gens ressemblent à ce qu’ils sont.

·     C’est un Italien, il faut faire la part des choses.

·     Je n’ai jamais fréquenté de mafiosi, mais l’image qu’en donnent les romans et le cinéma n’est pas celle de ce joli cœur sur le retour, avec toutes ses paroles mielleuses.

·     C’est un faisan, c’est sûr, mais j’ai besoin de lui comme intermédiaire.

·     Une planche pourrie ne fera jamais une bonne passerelle. Cet homme pourrait, demain, être dangereux.

·     Ne t’inquiète pas, ma chatte. Je saurais limiter ses interventions au strict minimum nécessaire. Tu sais bien que j’ai toujours fait le plus grand cas de tes intuitions.

·     Comment ne pas être inquiète quand les nuages s’amoncellent au-dessus de ta tête ? Ce sont surtout tes compatriotes qui me font peur, ces autonomistes deviennent très dangereux.

·     Ce sont les moins à craindre. Ma famille est puissante et a des racines dans tous les milieux. Ma mort provoquerait un bain de sang, une vendetta sans fin. Je suis celui que l’on cloue au pilori, mais que l’on ne peut pas abattre. Les continentaux sont plus dangereux, leurs méthodes sont moins violentes, mais plus efficaces. J’ai deux « petits juges » accrochés à mes basques… et des plus gros morceaux que moi ont connu la prison et le déshonneur.

La jeune femme sourit à l’évocation des affaires juridiques en cours.

·     Cela te fait sourire, tu souhaites peut-être que j’aille en prison pour te débarrasser de moi ?

Elisabeth se leva, éteignit à nouveau sa cigarette, et vint se glisser, câline, sur les genoux de son amant. Elle l’embrassa avec beaucoup de tendresse et murmura près de l’une de ses oreilles.

·     J’ai peur de te perdre, au contraire, mais la prison ne m’inquiète pas. Je t’attendrais aussi longtemps qu’il le faudra. J’en connais une, par contre, qui ne t’attendra sans doute pas. Dans une famille de la haute bourgeoisie française, on ne peut pas accepter un gendre qui a fait de la prison. Une bonne condamnation, bien infamante, serait peut-être, pour toi, et pour moi, la meilleure des choses, le début d’une vie nouvelle.

Le député regarda son amie avec tendresse.

·     Tu es un drôle de petit bout de bonne femme. Quand je pense qu’il y a des salauds qui disent que tu ne t’intéresses qu’à mon argent et à mon pouvoir !

·     Ce sont des jaloux, qui crèvent de voir l’amour que j’ai pour toi !

Ange Ballestra souleva sa maîtresse dans ses bras puissants et se dirigea rapidement vers le canapé du séjour, sur lequel il déposa délicatement son précieux fardeau. La jeune femme glissa sur le côté et, le buste posé sur le dossier, offrit sa croupe à peine voilée par un léger tissu. Ebloui par la merveilleuse offrande qu’elle lui faisait, il écarta sa robe de chambre et présenta son membre dressé entre les fesses qu’il dévoila d’un geste. Avec douceur il inséra la pointe de son gland hypertrophié dans l’anus offert de sa partenaire. Prenant conscience de la disproportion entre la taille de son sexe et celle de la porte étroite qu’il convoitait, il marqua un temps d’arrêt. Sa volonté de possession était entravée par une affection sincère qui le faisait reculer devant le risque de faire souffrir la jeune femme. Pendant qu’il hésitait ainsi, d’un coup de reins lent mais résolu, elle vint s’empaler sur la verge tendue en poussant un grognement sourd, dans lequel se mêlaient la douleur et le désir. Avant que son amant ait pu reprendre ses esprits, elle s’animait d’un lent et profond mouvement de va-et-vient, qui venait coiffer et décoiffer alternativement le gland devenu très sensible. Un basculement se produisit dans la tête d’Ange Ballestra, lui qui prenait soin de se maîtriser, pour mieux dominer sa partenaire, sentit monter en lui un instinct animal qui soudain le submergea. Avec un rugissement, il entra dans le violent corps à corps qu’elle lui suggérait. Après quelques minutes de fureur haletante, un éclair éblouissant se déclencha dans son cerveau, il perdit un peu conscience de ce qui se passait, entendant vaguement les clameurs que poussait la jeune femme.

Les deux amants retrouvèrent simultanément le silence et le repos du corps. Il fit un mouvement pour se dégager, elle le supplia de ne plus bouger et de rester en elle. Il obéit volontiers à cette invite et referma ses bras sur le petit corps velouté qu’il sentait palpiter doucement, comme le corps chaud et fragile des moineaux tombés du nid, qu’il gardait dans le creux de ses mains étant enfant.

 

 

* *  2 * *

 

Au volant de sa voiture, Ange Ballestra se remémorait les instants merveilleux qu’il venait de passer avec sa maîtresse. Il avait l’impression, qu’à chaque rencontre, leur communion sexuelle s’approfondissait, reculant à chaque fois ce qu’il croyait être le seuil de la perfection. Lui aussi avait parfois envie de refaire sa vie, de fuir au loin avec elle et de repartir de zéro. Malheureusement cela ne pouvait être qu’un rêve, il était impliqué dans beaucoup trop d’affaires pour pouvoir se retirer ainsi de la partie sans qu’il y ait de la casse, beaucoup de casse.

Il y avait aussi sa femme. Certes ce n’était plus le grand amour, les années avaient érodé la passion qui les avait unis trente-cinq ans plus tôt. Peu à peu, ils avaient cessé d’avoir des relations sexuelles régulières. Pourtant une grande affection les liait toujours l’un à l’autre. Ange ne désirait faire de peine à son épouse pour rien au monde. C’est lui qui avait inventé le prétexte de sa belle-famille et de son importance pour sa carrière politique, il l’avait fait pour convaincre Elisabeth de la nécessité, pour lui, de sauvegarder les apparences en continuant à vivre avec sa femme légitime. Bien, qu’en politique, il ne soit pas un enfant de chœur, Ange Ballestra était un tendre. Il aimait deux femmes, de deux façons différentes, mais avec la même profondeur de sentiments. Il ne désirait qu’une chose, c’était continuer à vivre comme il le faisait depuis plusieurs années, partagé entre ses deux charmantes partenaires.

Son épouse avait très bien compris son état d’esprit et avait accepté la situation. Paradoxalement, c’était sa maîtresse qui avait le plus de mal à le faire. Il pensa que la déclaration d’amour qu’elle lui avait faite ce matin, suivie d’un don total de sa personne, méritait un gage de sa propre affection. Comme il ne pouvait pas lui offrir davantage de lui-même, Ange pensa qu’il devait lui faire un cadeau. Il passerait dans la journée chez un bijoutier pour acheter le somptueux collier que la jeune femme avait admiré récemment, sans oser le demander à son amant. Mais, d’ici là, sa journée serait bien remplie. Il devait d’abord passer à sa permanence, où il retrouverait Elisabeth dans son rôle de secrétaire. Ensuite, avant de rencontrer Guido Pepino, il passerait à son club de tirs pour griller quelques cartouches et pour déjeuner. Avant chaque rencontre délicate, il aimait à se livrer à quelques exercices de tir rapide. Cette discipline sportive avait le don de le calmer et surtout, de lui donner toute l’assurance dont il avait besoin dans les circonstances difficiles. Pour affirmer sa virilité et sa force, Ange Ballestra avait deux moyens aussi efficaces que complémentaires : faire l’amour avec sa maîtresse et tirer avec son Colt .45. La rencontre qu’il devait avoir en début d’après-midi était tellement importante, et si délicate, qu’il devait conjuguer ces deux moyens pour si préparer.

 

Depuis quelques années, une nouvelle génération de « petits juges » sévissait. Plusieurs hommes politiques de première importance avaient eu maille à partir avec la justice. Non seulement au niveau local, mais également au niveau national. De nombreuses affaires de financement occulte des partis politiques avaient été portées sur la place publique. Des chefs d’entreprises importants avaient également été sanctionnés. Il devenait de plus en plus difficile d’obtenir des fonds sous le couvert des marchés publics. Non seulement les entrepreneurs renâclaient à payer, mais il y en avait même plusieurs qui s’étaient plaints à la justice d’avoir dû verser leur obole à l’occasion de grands travaux.

Ange Ballestra avait de gros besoins d’argent. Lui, à qui la rumeur locale accordait une fortune importante, avait en fait vécu comme une cigale et n’avait rien amassé.  Depuis longtemps, il avait confondu la caisse noire de l’organisation politique, dont il était le responsable local, et sa cassette personnelle.

Au début, il avait puisé dans la caisse en toute bonne foi, trouvant d’excellentes raisons pour justifier, à lui-même, l’affectation douteuse de certaines sommes. Où finissaient les besoins en financement de ses actions politiques et où commençaient ses propres besoins financiers ? La limite était parfois difficile à déterminer. Toute sa vie étant bâtie autour de son action politique, il était clair que tous les moyens dont il disposait étaient mis au service de celle-ci. A l’inverse, n’était-il pas normal que l’argent, dont il pouvait bénéficier pour appuyer son travail politique, soit mis au service de ses moyens opérationnels, eux-mêmes étroitement confondus avec ses besoins personnels. Il était évident, par exemple, qu’une secrétaire de la qualité d’Elisabeth ne pouvait pas être rétribuée uniquement avec son indemnité parlementaire. Cela justifiait-il la prise en charge du train de vie confortable de la jeune femme par l’argent du parti ? Oui, sans doute, puisque la présence de celle-ci était essentielle au bon équilibre du leader local et que c’était grâce à cet équilibre qu’il pouvait garantir, à son parti, la main mise sur son mandat de député ! Depuis longtemps, Ange Ballestra ne se posait plus de questions épineuses sur l’éthique de ses actes.

La disparition, quasi totale, de la manne apportée par les enveloppes associées à l’attribution des marchés publics, plaçait le député dans une situation délicate. Heureusement, il exerçait son action politique dans une région qui excitait les appétits des responsables des maffias italiennes. Après avoir enrichi le Tessin, ceux-ci rêvaient de déverser leurs capitaux sur la Côte d’Azur. Le blanchiment de l’argent de la drogue était le souci permanent de ses « honorables financiers ». Ballestra ne demandait qu’à leur faciliter la tâche. L’exemple de la Suisse italienne lui montrait que cet argent sale pouvait être mis utilement au service des besoins d’une région. La lutte contre le chômage n’était-elle pas un objectif prioritaire ? Si cet argent mal acquis pouvait aider l’économie locale à sortir de la crise, le député, en se faisant le vecteur de pénétration de ces investissements, n’aurait-il pas rempli au mieux le mandat donné par ses électeurs ? De toute façon, cet argent existait et s’il n’était pas récupéré par son département, il le serait par d’autres, moins scrupuleux. Ange était rompu, depuis longtemps, à manipuler sans états d’âme des sophismes plus scabreux encore que ceux-ci.

Guido Pepino, personnage douteux s’il en est, était un maillon nécessaire dans la voie qu’il s’était fixé. Cet ancien comptable de la Mafia, retiré de façon précoce sur la Côte d’Azur, lui donnerait accès aux plus hauts responsables de l’organisation. C’était du moins ce qu’espérait notre député.        

 

 

* * 3 * *

 

Ange Ballestra se présenta au Club de tirs des Trois-Vallées à l’ouverture, vers 11 heures. Il arrêta sa Mercedes 320 dans le parking, à proximité immédiate d’une petite voiture en assez mauvais état. Il salua le chef cuisinier, un homme brun d’une quarantaine d’années, élégant dans sa tenue fonctionnelle, et le serveur, un jeune homme blond, à l’allure dégingandée, avec une boucle en diamant à l’oreille gauche. Les deux hommes, profitant de l’une des dernières belles journées de l’été, déjeunaient sur la terrasse.

·     Alors, Messieurs, la nourriture est bonne aujourd’hui ?

Le chef répondit en souriant.

·     Si on vous répondait non, vous seriez surpris !

·     De toute façon, je sais qu’ici elle est toujours excellente !

·     On fait pour le mieux, vous savez. Comment marche l’entraînement, monsieur Ballestra ?

·     Ca va, ça va. Aujourd’hui je n’ai pas beaucoup de temps, il faut que je mange à midi pile. Ca ira ?

·     Pas de problème, vous pouvez manger à l’instant même, si vous le désirez !

·     Hé ! Hé ! Doucement... laissez-moi un peu m’amuser avant, quand même.

Avec un signe de la main pour remettre la discussion à plus tard, le député entra dans l’établissement, une petite mallette à la main.

Michel, l’armurier, responsable du club, téléphonait près de l’entrée. Le nouvel arrivant vint lui taper sur l’épaule amicalement et, lui faisant signe de ne pas interrompre sa communication, le dépassa pour ouvrir l’armoire électrique et pour mettre en route la ventilation de la salle réservée au tir rapide sur gongs. En adressant, au passage, un petit sourire à Michel, il revint vers la porte d’accès aux stands.

Leur repas terminé, le cuisinier et le serveur se rendirent à la cuisine, en passant par la porte-fenêtre ouverte sur l’extérieur.

 

Vers 11 heures 10, un jeune homme arriva, au volant d’une petite voiture, sur le parking du Club des Trois-Vallées. De taille moyenne, il était habillé d’un costume sombre de bonne coupe. Chaque détail de sa tenue était choisi avec recherche et avec goût. Ses cheveux bruns étaient coupés très courts. Son menton énergique était souligné par un bouc, complété par une petite moustache qui tranchait avec l’éclat de ses dents. Ses yeux noirs étaient dissimulés derrière des lunettes de soleil faisant miroir. Il descendit posément de son véhicule, entra dans le bâtiment sans rencontrer personne, traversa la salle de restaurant vide et ouvrit la porte d’accès aux stands de tirs. Des coups sourds lui parvenaient de la première pièce, à gauche en entrant. Il ouvrit la porte de cette pièce dans laquelle le député était occupé à tirer. Celui-ci venait de terminer une séquence de tirs. Au moment où la porte s’ouvrit, il appuyait sur le bouton-poussoir qui commandait le relèvement des gongs à distance. Les cinq vérins pneumatiques ramenèrent, sans bruit, les lourds disques de métal en position verticale.

Ange Ballestra regarda sans aménité celui qui ouvrait la porte. Il aimait être seul pendant ses séances de tirs et le club privé lui offrait habituellement la tranquillité souhaitée. Le jeune homme, qui avait enlevé ses lunettes, se tenait devant l’ouverture et lui souriait en lui faisant un petit bonjour de la tête. Il répondit au salut, poliment, mais sans signe apparent d’amabilité, pour se montrer correct envers un autre membre du club, tout en cherchant à le dissuader d’entrer dans le local. Généralement, cela suffisait à faire fuir les importuns.

Une règle non écrite, du club, voulait qu’on laissât la disposition d’un stand de tirs à 10 mètres au premier arrivant, tireur isolé ou groupe de tireurs. Ces stands étaient au nombre de cinq et, à cette heure de la journée, un jour de semaine, il était très exceptionnel qu’il y ait plus de deux tireurs dans l’établissement. Le stand de tirs de précision à 25 mètres, équipé de dix rameneurs de cibles électriques, était le seul dans lequel plusieurs tireurs étaient amenés à tirer en même temps.

 

En accentuant son sourire, le jeune homme entra et referma la porte derrière lui. Ange Ballestra hocha la tête avec une moue de dépit mais ne dit rien. Le nouvel arrivant était jeune et sympathique, cela n’était pas suffisant pour justifier son intrusion, mais le député songea qu’un ancien tireur, comme lui, avait des devoirs envers les nouveaux. Il pensa consacrer quelques minutes à répondre aux questions que n’allait pas tarder à lui poser le jeune homme. Il lui prodiguerait ensuite quelques conseils, puis lui apprendrait les règles de bienséance du club, avant de le reconduire aimablement vers la sortie du stand.

L’intrus, toujours souriant, les mains derrière le dos, une sacoche en cuir sous un bras, s’était planté à proximité de la table et regardait avec intérêt l’arme qui y était posée.

Ballestra apprécia qu’il regarde celle-ci sans faire un geste pour la toucher, ce qui aurait été une incongruité. Il commença à remplir l’un de ses chargeurs, avec les cartouches qu’il prenait dans une boîte en plastique jaune.

·     C’est du 11,43 ?

·     Oui, du .45 ACP.

·     C’est le fameux Colt .45 ?

·     Oui, un Gold Cup en acier inoxydable, customisé, avec un compensateur de recul et quelques améliorations.

 

La politesse et l’intérêt du jeune homme contrebalançaient un peu la gêne occasionnée par sa présence. Le député, comme tous les amateurs d’armes, aimait à vanter les siennes.

·     Et cette lunette optique...

·     Un viseur « point rouge », jeune homme !

·     Ah oui ! Qui projette en faisceau laser sur la cible ?

·     Non, non ! ...

Le tireur secouait la tête avec ennui. L’abus, fait par le cinéma, des dispositifs de visée à faisceau laser, mettait en vedette ce procédé, que les tireurs n’employaient pas, au détriment des viseurs à point rouge, universellement utilisés en tir rapide. Avec patience, il expliqua que ce viseur ne projetait rien dans l’espace, mais que l’on pouvait voir, à l’intérieur, l’image virtuelle d’un point lumineux, provenant d’une diode électroluminescente de couleur rouge, projeté sur une optique de rapport de grossissement 1 / 1, en lieu et place d’un réticule.

Pour viser, il suffisait de positionner le point rouge sur l’image de la cible, vue dans la lunette, à l’endroit que l’on voulait atteindre. Au lieu d’avoir à aligner trois points : l’encoche de la hausse, le guidon et le visuel de la cible, il suffisait de positionner le point lumineux sur le visuel, d’où la rapidité de la visée et l’emploi fréquent de ce type de viseur en tir rapide.

En terminant son explication, le député arma son pistolet et fit observer au jeune curieux que, s’il n’avait pas de casque, il allait devoir quitter la pièce. Le jeune homme accentua encore son sourire, et ouvrit sa sacoche pour en sortir un casque de tir qu’il plaça sur les oreilles. Ballestra comprit qu’il ne serait pas quitte à si bon compte avec ce casse-pieds. Il remit à zéro le timer électronique, posé sur la table devant lui, et se plaça en position de tir. Cinq détonations retentirent, coup sur coup, dans l’étroite pièce. Les cinq gongs furent violemment rejetés en arrière, à quelques dixièmes de secondes d’intervalle l’un de l’autre. Le tireur consulta le timer avec une petite grimace. Cet instrument, déclenché par le son, mesurait l’intervalle de temps qui séparait les détonations entre elles.

 

·     Formidable ! Vous tirez vraiment bien !

·     Toucher les gonds, ce n’est rien, avec un peu d’entraînement c’est facile, c’est le temps qui compte.

·     A qu’elle distance est-on des cibles ?

·     Quinze mètres. Ce genre de tir se pratique généralement à dix mètres, mais je recule la table à quinze pour corser un peu la difficulté.

·     N’auriez-vous pas intérêt à utiliser une arme plus moderne que ce pistolet conçu en 1911 ?

·     Jeune homme, on n’a pas fait mieux depuis ! Les armes plus récentes, qui ne sont que des copies de celle-ci pour la plupart, n’ont qu’un seul avantage : une plus grande capacité de chargeur.

Ballestra s’était soudain animé, le jeune blanc-bec touchait à un point sensible, pour un mordu du Colt .45 comme lui. Il ramena délicatement le chien en position rabattue, puis appuya sur l’éjecteur de chargeur et montra celui-ci au jeune homme.

·     Les cinq gongs sont tombés et il me reste deux cartouches dans le chargeur et une dans le canon, que demander de plus ?

Le jeune homme acquiesça et demanda avec des yeux brillants.

·     C’est vrai, c’est vraiment une arme formidable ! Pourrais-je l’essayer une fois ? Une fois seulement. Monsieur, s’il vous plaît !

Le tireur était ennuyé. Ce jeune homme était bien sympathique, mais sa demande était très inhabituelle. Jamais un tireur chevronné n’aurait osé demander cela à un autre tireur.

·     Bon, écoutez, vous tirez une fois et puis vous sortez du stand pour me laisser m’entraîner tranquillement, d’accord ?

·     O.k., O.k., Monsieur, merci !

 

Ballestra remit le chargeur dans le pistolet et plaça l’arme sur la table, devant le jeune homme, sans cesser de le pointer en direction des gongs.

·     Ne touchez pas à cette arme tant que je ne vous aurai pas autorisé à le faire !

Le jeune homme approuva de la tête en silence. Le député avança de quelques mètres, pour se rendre près du bouton-poussoir qui commandait le relèvement des gongs. Après s’être assuré que la manœuvre s’était bien exécutée, il revint vers la table tir. Toujours en souriant, le jeune homme pointait, sur lui, la gueule menaçante du Colt. Après une hésitation de quelques secondes, Ballestra ayant aperçu le chien du pistolet armé, s’avança vers le dangereux idiot, en tendant la main et en parlant avec douceur.

·     Allons, doucement petit, donne-moi cette arme. Ne touche pas à la détente. Doucement, doucement...

Quand il arriva à moins de deux mètres du jeune homme, celui-ci appuya posément sur la queue de détente et l’abattit d'une balle en plein front. L’énorme projectile fit littéralement exploser la boîte crânienne du député qui s’effondra sur place, la main droite tendue vers l’avant. Du sang et des particules de matière cervicale furent projetés sur la table, sur les murs, sur le plafond bas et même sur le jeune homme, qui souriait toujours en disant :

·     Ne m’appelle pas « mon petit », s’il te plaît, gros con !

 

L’inconnu sortit son mouchoir, essuya l’arme avec soin, posa celle-ci dans la main tendue du mort, en refermant les doigts qui n’étaient pas encore raides. Il remit ensuite son casque dans sa sacoche et sortit du local, en refermant la porte derrière lui. D’un coup d’œil, à travers la porte coulissante en verre qui séparait les stands de la salle du restaurant, il s’assura que celle-ci était vide et sortit calmement de l’établissement. Il parvint à sa voiture sans avoir vu personne et sans que personne ne l’ait vu. Quelques instants plus tard, il roulait sur la route nationale, en direction de la ville.

 

 

* * 4 * *

 

Il était midi dix quand Paul Morelli arriva dans le parking du club de tirs. Il gara sa voiture en épi, à proximité d’une grosse Mercedes, elle-même rangée près de la vieille 106 de Michel Gazon, l’armurier. Plusieurs véhicules étaient déjà garés de part et d’autre du terrain, devant le bâtiment. Paul sortit de son break, claqua sa portière et alla ouvrir la portière-avant opposée. Il avait déposé, sur le siège du passager, un lourd coffret en bois, gainé de plastique noir imitant le cuir, dans lequel il rangeait ses armes, des munitions et différents accessoires. Soulevant péniblement le coffret, il referma la portière, verrouilla le véhicule avec la télécommande infrarouge intégrée à la clé de contact, et se dirigea vers le club.

C’était un homme d’environ quarante ans, de taille moyenne, trapu sans être obèse. Son crane légèrement dégarni était entouré de cheveux châtains, coupés courts. Il portait une barbe complète de longueur moyenne, dans laquelle les poils blancs commençaient à l’emporter sur les poils châtains. Ses yeux, d’un bleu intense, viraient au vert quand il était de mauvaises humeurs.

Il salua de la tête les quelques personnes qui étaient déjà installées sur la terrasse et entra dans la salle du restaurant. Il posa la boîte noire pour pouvoir serrer la main du serveur et de l’armurier, qui se tenaient près du comptoir du bar, face à l’entrée. Après avoir échangé quelques mots aimables avec eux, il déclencha l’ouverture de la porte coulissante donnant accès aux stands. Il remarqua aussitôt, en entendant son sifflement, que le système d’aspiration des fumées du rez-de-chaussée était en marche. Il vit, dans un second temps, la lumière qui filtrait sous la porte du stand du tir de vitesse sur gongs. Cette constatation le contraria, il avait l’habitude de commencer par ce stand et c’était un homme d’habitudes.

Depuis plusieurs années qu’il fréquentait ce club de tirs, il y venait régulièrement deux fois par semaine, pénétrait invariablement dans le stand des gongs vers midi et quart, y tirait pendant une petite heure, puis retournait dans la salle de restaurant pour déjeuner.

Après le repas, il faisait encore un petit tour dans les autres stands, avant de retourner au bureau. Dès qu’il entrait dans l’établissement, le serveur lui réservait sa table habituelle, près de la porte coulissante, en y déposant une bouteille de Badoit, mise à refroidir dans un seau à champagne. Cette table lui était d’ailleurs toujours potentiellement réservée, car c’était la seule qui était isolée, avec un seul couvert, alors que toutes les autres étaient regroupées par deux, avec quatre couverts installés, et il était pratiquement le seul client qui mangeait en solitaire. Le « club-house », du Club des Trois-Vallées, avait un excellent restaurant qui lui permettait de combiner le plaisir du tir avec celui de la table. C’était, pour Paul, une façon agréable d’occuper les deux heures de coupures, dans son travail, qu’il s’accordait les jours de tir.

Constatant que son stand favori était occupé, ce qui était extrêmement rare à cette heure-là, il décida de monter à l’étage pour s’entraîner au tir de précision à 25 mètres. Tous comptes faits, il pensa que ce n’était pas une mauvaise chose, car il y avait longtemps qu’il n’avait pas fréquenté le stand des 25 mètres, du moins dans ce club privé. Il faisait également partie d’un autre club de tirs, le club municipal de la petite ville dans laquelle était installée son entreprise. Dans ce second club, plus fréquenté que le premier et plus structuré, il tirait exclusivement à 25 mètres. Les séances de tirs, qui y regroupaient au moins une dizaine de personnes simultanément, se déroulaient sous la direction d’un responsable qui organisait la séance et veillait au respect des règles de sécurité.

 

Le club privé permettait de faire beaucoup de choses qui étaient interdites dans le club municipal. En plus des possibilités d’utilisation de gongs, de quilles ou de cibles mobiles, fournies par l’établissement, chaque tireur pouvait donner libre cours à son inspiration.

Paul apportait généralement quelques accessoires avec lui : des gobelets en carton, des balles de golf, des balles de ping-pong et des boules en plastique de la taille d’une balle de tennis. Il installait soigneusement les gobelets, posés à l’envers, sur la barre transversale sur laquelle étaient articulés les gongs basculants. Il posait ensuite, sur chacun des fonds, une boule en plastique ou une balle de ping-pong, en alternant les deux modèles. Les balles de golf, il les répandait sur le sol du stand, à différentes distances de la table de tir qu’il installait à 15 mètres des gongs. Le jeu consistait à faire tomber les objets posés sur le fond des gobelets, sans faire bouger ceux-ci. Les deux tailles des balles étaient adaptées à la précision qu’il pouvait raisonnablement espérer obtenir avec les différentes armes qu’il utilisait. Avec son pistolet Benelli MP95E, calibre .22 long rifle, et avec son revolver Manurhin MR73 Match, calibre .38 spécial, il faisait sauter les balles de ping-pong ;  avec son pistolet Uzi, calibre 9 mm parabellum, et avec son pistolet Desert Aegle, calibre .44 magnum, il faisait sauter les boules en plastique. Quand toutes les balles, puis tous les gobelets, avaient été projetés loin de la poutre, il finissait la séquence par du tir de vitesse sur gongs, avec ou sans timer.

Les balles de golf, qui jonchaient le sol, étaient tirées avec l’une ou l’autre des armes, indifféremment. Contrairement aux autres balles, qui étaient traversées par les projectiles, les balles de golf avaient l’avantage d’offrir une bonne résistance à la pénétration, ce qui leur permettait de rebondir violemment à travers le stand, faisant parfois plusieurs allers et retours, du sol au plafond, en passant par les murs. La seconde phase du jeu était de les toucher au cours de leurs déplacements aléatoires, le plus tôt possible après le choc initial. Après avoir encaissé plusieurs chocs, les balles de golf finissaient par exploser littéralement en mille grains de matière blanche.

 

Pour viser, Paul employait plusieurs dispositifs de visée optique : viseurs à point rouge et faisceaux laser, qui lui permettait de pratiquer le tir instinctif, l’arme à la hanche. Un petit retour, de temps en temps, au stand des 25 mètres du club privé, lui permettait de vérifier le bon symblotage de ses différents dispositifs de visée optique.

Il regretta de ne pas avoir avec lui le petit étau d’électronicien, qu’il apportait lorsqu’il voulait régler commodément le viseur à faisceau laser qui équipait le Benelli. Il pourrait le faire sans étau, mais cela serait plus difficile et moins rapide.

 

Après avoir vérifié les réglages des dispositifs de visée de ses différentes armes, Morelli redescendit vers le restaurant. De la lumière filtrait toujours sous la porte du stand des gongs, l’aspiration était toujours en marche. Curieux de voir qui avait pu le chasser de son domaine, il s’arrêta devant la porte du stand, déposa son coffret sur le sol et entrouvrit légèrement la porte pour glisser un coup d’œil à l’intérieur. N’aimant pas être dérangé quand il se trouvait dans le stand, il répugnait à jeter un coup d’œil indiscret sur son occupant actuel. Mais sa curiosité était plus forte, d’autant plus forte que, ni à l’aller, ni au retour, il n’avait entendu de détonations en passant devant le stand. Il commençait à se demander s’il n’avait pas tout simplement été berné par un tireur négligent, qui avait laissé l’éclairage allumé dans le stand et la soufflerie en marche.

Le regard, qu’il glissa à l’intérieur de la pièce, lui confirma bien la présence d’un tireur, ou du moins ce qu’il restait d’un tireur après que 14,90 grammes de plomb, tirés à très courte distance, lui aient fracassé la boîte crânienne.