·     Bonjour Messieurs, veuillez entrer.

Paul précéda les deux hommes jusqu'à la piscine, dans laquelle Marine nageait. Elle s’interrompit un instant et leur fit un grand geste amical de la main avant de reprendre sa nage

·     Décidément, j’ai l’impression d’avoir déjà vécu cette scène... Et mademoiselle Duroc est toujours dans l’eau !

·     Veuillez-vous asseoir, Messieurs. Un jus d’orange, commissaire ?

·     Oui, merci.

·     Et vous, inspecteur ?

·     Je préférerais un café, bien fort.

·     Je vais vous en faire un, tout frais, inspecteur.

C’était Marine qui venait de prendre la parole. Elle sortit de la piscine près de la porte-fenêtre de la maison et disparut dans celle-ci.

·     Vous m’avez dit, au téléphone, que vous avez une nouvelle importante à nous communiquer ?

·     J’avais aussi proposé de me déplacer jusqu'à votre bureau, je suis confus de vous avoir dérangé à nouveau.

·     Si votre nouvelle est aussi importante que vous le dites, nous ne regretterons pas le déplacement. Pour vous dire toute la vérité, nous devions nous rendre dans la villa de votre voisin assassiné.

·     Le mafieux ?

·     Exactement.

·     Voici la nouvelle, commissaire. Cette lettre nous est parvenue au courrier de ce matin.

Paul tendit une lettre de plusieurs feuillets au commissaire Bertrand, qui la saisit et la parcourut des yeux.

Marine arriva avec un plateau portant une tasse de café et un sucrier. Elle avait revêtu un peignoir de bain. L’inspecteur Agostini la remercia, prit la tasse, refusa le sucre et lui fit observer.

·     Vous avez les yeux rouges, l’eau de la piscine doit être trop chargée en chlore, attention à la conjonctivite !

·     Ce n’est rien, cela passera.

·     Si ce que dit cette lettre est vrai, c’est effectivement une nouvelle importante.

Le commissaire venait d’achever sa lecture. Il tendit la lettre avec précautions à l’inspecteur qui la saisit, à son tour, avec deux doigts, comprenant aussitôt que le document ferait l’objet d’une recherche d’empreintes digitales. Le silence se fit, en attendant que l’inspecteur ait fini sa lecture.

·     Pascal Légitimus se serait suicidé, après avoir confessé tous ses crimes, ça me paraît trop beau pour être vrai !

·     Qu’est-ce qui vous permet de douter, inspecteur ?

·     Je suis surpris qu’il ne dévoile pas son vrai nom. Légitimus est manifestement un nom d’emprunt destiné à la Légion.

·     D’autre part, il n’indique pas où l’on pourra retrouver son corps, renchérit le commissaire Bertrand.

·     Vous pensez, Messieurs, que cette lettre ne dit pas la vérité ?

·     Sur certains points, oui, sans doute. Pas sur tous les points. Un seul homme n’a pas pu abattre trois voyous simultanément, avec deux armes différentes.

·     Il dit que cela n’a pas été simultané...

·     Toutes les données, relevées sur le site, indiquent le contraire, affirma l’inspecteur Agostini.

·     Pour ce qui est du suicide, nous verrons quand nous aurons retrouvé son corps. Pour l’instant, le mandat d’arrêt court toujours.

Après cette déclaration, le commissaire demanda à son adjoint d’enfermer le document dans une pochette en plastique, qu’il tira de l’une de ses poches, et les deux hommes prirent congés du couple. Paul et Marine restèrent un peu interloqués par la brièveté de la visite et par le peu de commentaires qu’avait soulevée la missive. Aucun d’eux, avant l’arrivée des policiers, n’avait douté, un seul instant, de la véracité de l’annonce du suicide portée sur le document. Ils venaient de constater que les deux visiteurs, sans doute habitués à lire des lettres annonçant un suicide, n’avaient pas semblé attacher le moindre crédit au texte de Pascal. Sa lecture avait pourtant fait abondamment pleurer Marine.

 

Paul et son amie restèrent perplexes, relisant ensembles à plusieurs reprises, les photocopies du document qu’avait faites l’industriel avant la venue des policiers, avec la photocopieuse du bureau de sa villa.

·     Il aurait fui à l’étranger ? Sans argent, cela m’étonnerait.

·     Peut-être avait-il de l’argent et n’a-t-il dit qu’il n’en avait pas que pour endormir nos soupçons et pour partir sans être inquiété.

·     Non, je ne le crois pas. Pendant les quelques journées, que j’ai passées avec lui, j’ai bien eu la conviction qu’il n’avait pas beaucoup d’argent.

 

 

* * 49 * *

 

Marine eut un contact téléphonique avec son rédacteur en chef, celui-ci avait modérément apprécié son dernier article, à ses yeux trop évasif et posant beaucoup plus de questions qu’il n’apportait de réponses. La jeune femme sut le convaincre que le dénouement était proche et qu’elle serait aux premières loges pour pouvoir écrire l’article décisif qui allait boucler l’affaire. Sa mission, à Nice, fut donc prolongée de quelques jours. A la suite de cette conversation téléphonique, elle eut une conversation très franche avec Paul, dans laquelle elle lui raconta en détail sa liaison avec l’un de ses professeurs d’université et la désillusion qui suivit.

·     C’était ma première liaison avec un homme, mon premier véritable amour de femme. Je me suis retrouvée dans la position inconfortable d’une maîtresse, chargée de remplir le vide affectif et sexuel créé par le relâchement des liens d’un couple, usés par une trop longue vie commune.

·     Vous étiez jeune, mais vous deviez savoir à quoi vous attendre avec un homme marié. A moins qu’il vous ait fait des promesses...

·     Je ne m’étais même pas posé la question de sa disponibilité, j’ignorais qu’il était marié. Quand je l’ai appris, j’ai su, en même temps, qu’il ne quitterait jamais son épouse. Ce n’était pas le seul problème. Il avait cinquante ans, ce qui ne me posait aucun problème de principe, car j’ai toujours été attirée par les hommes mûrs. Par contre, je me suis aperçu rapidement que, sur le plan physique, il n’en était pas de même... Enfin, vous voyez ce que je veux dire.

·     Oui, je vois très bien, vous avez été séduite par son intelligence et par sa culture, mais vous auriez préféré qu’il ait le corps d’un homme de vingt ans.

·     C’est un peu cela... C’était un intellectuel... Il était très avachi physiquement. J’aurais pu l’aimer quand même, mais son comportement égoïste fit déborder le vase... Je suis consciente de mes propres contradictions. Il y a en ce moment, à Paris, un jeune homme beau et sportif, qui se considère un peu comme mon fiancé et qui souhaiterait concrétiser notre fleurt. Depuis plusieurs mois, je refuse de me donner à lui. A mon retour, je vais rompre définitivement cette liaison à peine ébauchée, car je sais à présent, que si je devais appartenir à un homme, ce ne serait pas à lui...

·     Vous employez des expressions que je croyais ne plus rencontrer chez une femme de votre génération : « se donner à lui », « lui appartenir »...

·     C’est sans doute pour cela que je suis attirée par des hommes plus âgés que moi...

·     Vous avez dit « Car je sais, à présent... », pouvez-vous m’en dire davantage ? Du moins si cela me concerne.

·     Vous savez bien que cela vous concerne directement. Je crois que je vous ai déjà donné suffisamment de gages de l’intérêt que j’aie pour vous, et pas seulement à cause du fait que vous m’avez tirée des griffes de Jo la Bugue. J’espère que vous êtes conscient que je n’ai pas l’habitude d’embrasser un homme sans avoir une profonde motivation ?

·     Je le crois volontiers, mais je souhaiterais en savoir plus. Que dois-je vraiment penser des quelques instants de tendresse que nous avons vécus ensemble ?

·     Je vous l’ai laissé entendre il y a un instant : vous êtes le seul homme au monde avec lequel je pourrais imaginer avoir des rapports intimes, aujourd’hui. Mais beaucoup de choses s’opposent à cette liaison. Mon emploi à Paris, d’abord. Je n’ai rien fait de valable sur le plan professionnel jusqu’ici. Une formidable opportunité s’offre à moi dans mon hebdomadaire, en partie grâce à vous, d’ailleurs. Sur le plan affectif, ensuite, ma position n’est pas claire, je ne sais plus très bien où j’en suis par rapport aux hommes. Je ne voudrais pas vous laisser espérer ce que je ne serais peut-être pas en mesure de tenir.

·     Il n’y a pourtant qu’en essayant que vous puissiez savoir. Je préférerais participer à l’essai, même si je dois en souffrir, plutôt que de penser que vous allez le faire avec un autre homme.

·     Il n’est pas question de cela ! Mais comprenez que cet essai pourrait être un piège pour moi, et si je m’y laissais prendre, je pourrais ensuite vous reprocher pendant des années de m’avoir empêché de réaliser mon rêve professionnel. Ecoutez, il est encore fréquent qu’un jeune homme demande à sa promise de l’attendre au pays, pendant qu’il va à la ville pour tenter sa chance. Pourquoi ne pourrait-on pas inverser les rôles : « m’attendriez-vous, monsieur, si j’allais à la ville pour tenter ma chance dans le journalisme ? »

·     Evidemment que je vous attendrais, le moyen de faire autrement quand on aime ?

·     Vous m’aimez donc un peu ? N’ouvrez pas ces yeux surpris, je n’ai pas souvenir que vous m’ayez déclaré votre amour de façon claire.

·     Ca, alors ! Vous deviez avoir la tête ailleurs, car je l’ai fait à plusieurs reprises, ma tendre amie !

·     Voilà, c’est exactement cela. Je veux être, pour l’instant, votre « tendre amie ». Mais, ne vous inquiétez pas, l’avion a réduit les distances, je pourrais venir vous rendre visite fréquemment, aussi souvent que possible.

·     Cette promesse m’enchante. « Eh bien ! C’est d’accord, beau militaire. Pendant que tu seras à l’armée, je t’attendrais en filant ma quenouille. Ou peut-être tisserais-je un tapis, comme Pénélope ».

·     Va pour Pénélope, car elle était très fidèle !

·     C’est vous qui serez dans la grande ville, avec toutes ces tentations.

·     Tututu ! Plus la ville est grande, plus la solitude est probable. C’est vous qui aurez le plus de tentations, certaines à domicile… Ou presque.

·     Vous n’allez pas me reprocher pendant des lustres, une faiblesse que j’ai eux bien avant de vous connaître ?

·     Je crois vous avoir déjà expliqué que je suis très possessive et très jalouse. Vous verrez, je serais capable de venir vous voir sans prévenir, pour vous surprendre en mauvaise compagnie.

·     Faites le aussi souvent que possible, je vivrais ainsi dans une terreur permanente de votre venue et je serais contraint à la sagesse.

Ils éclatèrent de rire ensemble, pendant que Paul serrait les mains de Marine entre les siennes. Avec beaucoup de tendresse, il déposa un baiser léger sur le nez de la jeune femme. Il annonça ensuite à Marine qu’il devait passer deux heures dans son entreprise, pour signer quelques documents. La jeune femme lui demanda de la déposer en ville, où elle avait quelques courses à faire. Il lui proposa le prêt d’une voiture, elle refusa en disant qu’elle ne voulait pas s’embarrasser d’un véhicule, affirmant qu’elle reviendrait à la villa en taxi, après avoir fait quelques achats.

·     Il faut bien que j’aie quelques notes de frais à présenter à mon patron, je parle du taxi, bien sûr.

 

 

* * 50 * *

 

Paul était rentré à la villa après environ trois heures d’absence. Il fut un peu étonné et déçu de ne pas y trouver Marine. Il sourit quand même, en pensant que lorsqu’une femme fait du shopping, elle ne voit pas le temps passer. L’heure du déjeuner était largement dépassée et la jeune femme n’était toujours pas là. Paul refusa de s’inquiéter, Marine était suffisamment indépendante pour avoir pu manger un encas, en ville, afin de pouvoir terminer tranquillement ses courses.

En attendant que Marine se manifeste, et pour éviter de laisser la nervosité le gagner, Paul décida de se livrer à quelques travaux de programmation logicielle, sur un micro-ordinateur installé dans le bureau de sa villa. Quelques instants plus tard, il était plongé dans les délices du langage Visual C++.

La création de logiciels avait été longtemps une nécessité professionnelle pour lui. Depuis de nombreuses années, il pratiquait cette activité, qui avait longtemps dévoré l’essentiel de ses heures de loisir. Sa femme avait dû accepter, à contrecœur, de le voir passer ses soirées et ses week-ends devant son écran. Il l’avait convaincu que sa réussite professionnelle passait par cet investissement personnel. En fait, il était exact que les logiciels qu’il avait développés pour quelques clients, lui avaient apporté une base financière non négligeable, et avaient assis sa réputation professionnelle. N’ayant pas fait d’études en informatique, Paul avait dû, comme beaucoup d’électroniciens, consacrer énormément de temps à acquérir les techniques de programmation, en autodidacte. Comme la plupart des amateurs, il débuta en Basic, sous le DOS de Microsoft. Ce langage permettait un apprentissage rapide mais manquait de rigueur, et les programmes importants devenaient rapidement ingérables. Microsoft eut la bonne idée de sortir une version professionnelle de son Quick Basic, qui offrait la possibilité de réaliser des programmes structurés. C’est avec ce langage que Paul réalisa ses premiers programmes réellement professionnels. Il développa ainsi un logiciel de Contrôle d’Accès, qui équipa de nombreux sites d’une multinationale, aux quatre coins de l’hexagone (une formule paradoxale qu’il aimait à employer). Après quelques tentatives en Forth, qui ne dépassèrent pas le stade du bricolage de génie, Paul se mit au C. Ce langage était en passe de devenir un standard pour les professionnels de la programmation, en raison de sa portabilité sur les différents systèmes et, surtout, de son emploi dans Windows. Le triomphe de ce système d’exploitation, avec sa version 3, puis Windows 95, lui fit franchir une étape importante, dans la rapidité de réalisation de ses applications, en le déchargeant des fastidieux travaux de réalisation d’interfaces utilisateurs. C’est à ce moment-là, au moment où il avait enfin en main le fabuleux outil de développement dont il avait rêvé quelques années au paravent, qu’il cessa d’exercer en tant que professionnel. Il avait à présent suffisamment d’ingénieurs compétents dans son entreprise, et beaucoup trop de travail de gestion, pour continuer à écrire des logiciels pour ses clients. Il céda la place à plus jeunes que lui, des informaticiens qui étaient tombés tout petits dans le chaudron magique de la programmation et qui pratiquaient celle-ci naturellement. Il avait l’habitude de dire que les informaticiens, de la dernière génération, pratiquaient les langages de programmation mieux que leur langue maternelle, que les techniciens, en général, avaient de plus en plus de mal à pratiquer correctement. Ses apports, dans le travail de ses collaborateurs, se résumaient aujourd’hui à faire un choix entre les différentes options qu’ils lui soumettaient, à leur imposer des interfaces homme-machine simples et conviviales et à corriger leurs fautes d’orthographe et de syntaxe grammaticale.

Pourtant, dans le secret de son cabinet de travail personnel, Paul continuait à pratiquer la programmation pour son plaisir. Cherchant à résoudre de difficiles problèmes d’intelligence artificielle, au niveau des algorithmes de programmation eux-mêmes. Des travaux qui se rapprochaient de plus en plus, par l’esprit, de la quadrature du cercle ou de la recherche du mouvement perpétuel, qui eurent leurs adeptes au dix-neuvième siècle, ou de la transmutation des matériaux, qui occupait de beaux esprits au moyen âge. Le seul résultat tangible, auquel il était parvenu pour l’instant, était de fabriquer une extraordinaire machine à dévorer le temps. Il suffisait qu’il s’assoit devant son ordinateur pour ne plus voir les heures défiler, et pour se retrouver transporté une quinzaine d’heure plus tard, au bout desquelles il refaisait brutalement surface, affamé et les yeux rougis de fatigue.

 

La sonnerie du téléphone le tira brutalement de ses réflexions, en fin d’après-midi, lui faisant prendre conscience que Marine n’avait toujours pas donné signe de vie et qu’il avait sauté le repas de midi. Il se hâta de décrocher, en pensant que c’était la jeune femme qui appelait. Il fut déçu et surpris en constatant que ce n’était pas elle, mais que c’était Pascal, qui était au bout du fil.

·     Salut Prof, comment ça va ?

·     Pascal, Bon Dieu, nous t’avons cru mort !

·     Hé non ! Mon vieux, pas encore.

·     Où es-tu ? Que fais-tu ?

·     Ca me rappelle une chanson enfantine... Ou une comptine peut-être.

·     Ce n’est ni le moment, ni le sujet pour plaisanter.

·     Allons, prof, ne soit pas toujours aussi sérieux. Comment veux-tu séduire une jeune femme, comme Marine, en étant si austère ?

·     Que sais-tu de Marine ? Il y a plusieurs heures que je n’ai plus de nouvelles d’elle.

·     Tu l’as encore perdue ! Mon cher professeur, je ne sais pas si on peut te confier une aussi jolie femme, si tu passes ton temps à te la faire voler.

Paul eut soudain un doute affreux, la façon désinvolte dont Pascal parlait de la nouvelle disparition de la journaliste, lui donnait à penser que celui-ci avait une petite idée sur l’endroit où elle se trouvait. Un déchirement se produisit dans son esprit, à l’idée qu’il était peut-être retombé dans le cauchemar qu’il avait vécu la veille, au moment où il était convaincu que la jeune femme était amoureuse de Pascal.

·     Arrête de plaisanter, Pascal, dis-moi ce que tu sais, s’il te plaît.

·     Tu as déjà tout compris, mon vieux, elle est avec moi.

·     De son propre gré ? Je ne peux pas te croire.

·     Ce n’est pas encore de son propre gré, mais cela ne saurait tarder. Encore une séance amoureuse, comme celle de cet après-midi, et elle ne pourra plus se passer de moi.

·     Salaud ! Tu n’as pas osé la violer ?

·     La violer ? Non, certainement pas ! Au début, c’est vrai qu’elle n’était pas vraiment consentante, mais au bout de quelques minutes, elle s’est enflammée comme un volcan. Si elle n’y prenait pas énormément de plaisir, elle faisait bigrement bien semblant !

·     .....

·     Tu avais raison, mon cher prof, de fantasmer sur les rousses. Je peux t’assurer que celle-ci est réellement un bon coup !

·     Je voudrais parler à Marine.

·     Je ne suis pas sûr qu’elle veuille te parler. Je crois qu’elle est un peu confuse de s’être laissée submerger par une telle rage sexuelle.

·     Demande-lui de me parler, s’il te plaît ! Je ne lui ferais aucun reproche, mais j’ai besoin de l’entendre me confirmer qu’elle t’a choisi.

·     Ficelée et bâillonnée comme elle est, près de moi, dans ma voiture, je ne crois pas qu’elle puisse parler au téléphone actuellement. Au fait, je t’appelle sur un portable que je t’ai piqué, il marche pas mal.

·     Qu’est-ce que tu racontes, tu me mènes en bateau depuis le début ?

·     Pas tout à fait, c’est vrai que je l’ai un peu forcée à faire l’amour avec moi. C’est vrai qu’elle n’a pas pu s’empêcher d’y prendre du plaisir, malgré tous ses efforts pour rester impassible. Par contre, c’est faux qu’elle soit d’accord, pour l’instant, pour rester avec moi. Quelques séances de dressage sont encore nécessaires.

·     Ordure ! Tu as osé faire cela ? Si c’est vrai, je te tuerai ! Tu mourras d’une façon affreuse, je m’arrangerai pour que tu souffres le martyre avant de crever !

·     Allons, allons, où est ton calme de tireur d’élite ? C’est très dangereux pour toi, de perdre ainsi ton self contrôle.

·     Bon, dis-moi ce que tu veux, qu’on en finisse !

·     Je veux une petite mallette, qui est toute prête. J’ai réfléchi à ta proposition, je prends le fric, sans le traitement ou l’opération qui devait aller avec. Tu vois, je te fais faire des économies !

·     Tu relâcheras Marine saine et sauve ?

·     Pour qui me prends-tu ?

·     Cette réponse n’est pas très claire. Et si je refuse ?

·     Je parts avec Marine à l’étranger. Si je n’ai pas de fric, il me faudra quelques compensations. Avec les dons dont elle a fait preuve cet après-midi, je ne m’ennuierais pas, et je crois que je n’aurais pas trop de mal à la convaincre de mettre son talent au service de notre bourse commune.

·     Fumier !

·     Je ne t’ai jamais entendu jurer ainsi, prof. Je crains que toutes ces aventures ne t’aient un petit peu transformé.

·     Comment et où dois-je t’apporter la mallette ?

·     Tu prends ta voiture, avec la mallette à l’intérieur naturellement, et tu roules en direction de Digne, par la nationale 202. Je te recontacterai plus tard.

·     Mais, c’est aberrant, la vallée du Var est trop encaissée pour que tu puisses me joindre à coup sûr.

·     Ne t’inquiète pas et obéi. Ah, au fait ! Je ne te dis pas de ne rien dire à la police, cela me semble évident. Tu sais que je n’ai plus rien à perdre et que, si je me sentais en danger, je ne mourrais pas seul.

·     Tu sais bien que je ne le ferai pas !

·     Ah, autre chose ! Tu as sans doute compris que j’avais piqué son arme à Jo la Bugue, un type de son acabit ne sort jamais sans flingue. Un beau Jéricho 941, une arme bien élégante pour un tel affreux ! Je l’ai équipé d’un beau viseur à point rouge. Je te conseille d’amener un flingue avec point rouge, également, dès fois qu’on ait envie de faire une petite partie ensemble. Pas un pistolet-mitrailleur, ni une carabine, une arme de poing, ce sera plus sportif.

·     Que veux-tu donc, la mallette ou un duel ?

·     Les deux, mon vieux. A quoi me serviraient la mallette et Marine, si je te laissais vivant derrière moi ? J’aurais toujours peur de te voir surgir au moment où je m’y attendrais le moins. On se bat en duel au point rouge. Le vainqueur emporte la mallette et la fille.

·     D’accord, je prends la route dans quelques minutes. Fous la paix à Marine, en attendant.

·     Sur ce point, je ne peux rien te promettre ! C’est vrai que j’ai eu largement ma part aujourd’hui, mais une petite gâterie en t’attendant, ne me déplairait pas.

·     Salaud !

·     Inutile d’aller trop vite. Cela ne changera rien pour Marine, et ce n’est pas le moment d’avoir un accident ou de te faire arrêter par les flics. A tout à l’heure, mon vieux. Prends ton temps, je suis en bonne compagnie.

 

Quand Pascal eut interrompu la communication, Paul s’aperçut que ses mains tremblaient de colère. Tout en rassemblant le matériel dont il avait besoin, il essaya de se calmer. Il était conscient que le jeune homme avait tout fait pour le pousser à bout. Il était possible qu’il ait violé Marine, mais sa déclaration sur le plaisir pris par la jeune femme ressemblait beaucoup à de la provocation. Pascal, c’était évident, avait largement affabulé sur ce sujet pour mettre Paul hors de lui. Cela présentait deux avantages pour le jeune homme : la colère pousserait son adversaire à rechercher le combat (le duel qu’il souhaitait depuis longtemps) et lui ferait perdre la moitié de ses moyens. Malgré cette analyse, qui lui semblait raisonnable, Paul était quand même torturé par le doute. Il ne pouvait pas oublier la confession que lui avait faite la jeune femme, après son enlèvement et le mauvais traitement que lui avait fait subir Jo la Bugue. Il serra les poings de rage, en essayant de ne plus penser à son amie et à son ravisseur. Il s’agissait, à présent, de retrouver ses esprits et sa sérénité pour sortir vainqueur de sa confrontation avec Pascal.

 

Il hésita un long moment sur le choix de l’arme qu’il allait emporter. Sentimentalement, il aurait voulu prendre son revolver préféré, celui qui lui avait servi à Saint-Roman de Bellet, mais il savait que ce ne serait pas le bon choix. C’est avec cette arme qu’il aurait la meilleure précision, mais la puissance de tir du calibre .38 spécial était assez faible. Il s’en était tiré dans son combat précédent parce qu’il s’était déroulé à faible distance, mais cela ne serait sans doute plus le cas. Il se souvenait de ses discussions avec Pascal, quand il l’avait convaincu qu’un duel devait commencer avec, au moins, cent mètres de distance entre les deux adversaires. La vitesse ne lui semblait pas un critère essentiel, pour cela le revolver était suffisant. Par contre, la puissance de feu lui paraissait être un facteur plus important. Si l’arme qu’avait trouvée Pascal, sur Jo la Bugue, était un Jéricho F1, c’était une arme redoutable, préparée pour le tir rapide et bénéficiant d’un chargeur de seize cartouches. Par contre, sa puissance de feu était minorée par le modeste calibre 9 mm parabellum utilisé. Avec une arme à huit coups et deux chargeurs, Paul retrouverait la puissance de feu de son adversaire. Il fut tenter par un Colt .45, qui réalisait un bon compromis de puissance et de précision, mais il n’avait pas ce type d’arme à la maison et ne pouvait pas envisager de passer au bureau, où il avait rapporté les armes appartenant à sa société au retour de la confrontation de Saint-Roman de Bellet. D’autre part, le canon du Colt .45 lui semblait un peu court pour le tir à grande distance. Etant donné ce paramètre de la distance, il songea à un gros calibre, le .44 magnum ferait l’affaire. Par contre, il lui aurait fallu un revolver avec un canon de dix pouces, ce qu’il n’avait pas chez lui. Dans ses armes personnelles, il n’avait qu’un Desert Aegle, dans ce calibre. Ce pistolet étant équipé d’un viseur point rouge ProPoint, de chez Tasco, il pensa que c’était ce qu’il lui fallait. D’autant plus qu’il disposait d’un canon de 14 pouces, en supplément du canon de 6 pouces d’origine. La longueur exceptionnelle de ce canon, qui donnait à l’arme une silhouette affreuse, lui assurait une puissance fabuleuse et une excellente précision à longue distance. Il hésita encore un moment, car le pistolet israélien était une bonne arme, qui acceptait des cartouches chargées à bloc qu’il avait en stock, et qui ressemblait à un obusier portable quand il tirait, mais c’était une arme difficile à maîtriser. Paul parvenait à d'excellents résultats avec elle, en tir rapide à dix ou quinze mètres ; à des résultats honorables, à vingt-cinq mètres ; mais il ne l’avait jamais essayé sur silhouettes, à cent mètres et plus. Ce fut pourtant l’arme qu’il choisit, avec deux chargeurs de huit cartouches et le canon de 14 pouces. L’instinct avait guidé son choix, il fallait à présent assumer sans états d’âme.

Il prit également un casque de tir électronique, qui permettait d’entendre parfaitement les bruits habituels, avec même une possibilité d’amplification pour améliorer l’audition, et qui, par contre, atténuait considérablement le bruit d’une détonation proche. Avec les gros calibres, il est important, pour le maintien la qualité du tir au-delà des premières cartouches, de diminuer le traumatisme provoqué par le recul et par le bruit de l’arme. Tous les tireurs utilisant une arme de gros calibre, ont pu observer que la précision de leur tir se dégrade rapidement au-delà des premières cartouches tirées. Ce phénomène est dû à une réaction inconsciente de leur organisme, qui se protège en anticipant leurs réactions contre le recul, c’est-à-dire qu’il corrige la position des mains avant que le départ du coup n’ait rendu cette correction nécessaire. Le bruit de la détonation accentue encore cette réaction pernicieuse, en ajoutant, au traumatisme du choc mécanique, celui qui est provoqué par le bruit. Contre ce dernier, Paul avait le casque ; contre le recul, son pistolet était équipé d’un compensateur réalisé par une pièce qui prolongeait le canon, avec trois ouvertures vers le haut, utilisant une partie des gaz de l’explosion pour contrebalancer l’effet du recul sur le relèvement de l’arme. Cette customisation n’était pas parfaite, mais elle diminuait quand même considérablement le recul, offrant l’avantage supplémentaire de pourvoir retrouver plus rapidement sa ligne de tir après chaque coup de feu.

Paul hésita un moment à prendre un gilet pare-balles de sa conception, dont il avait un exemplaire chez lui. Il connaissait parfaitement son efficacité contre les balles de petit calibre, comme le 9 mm parabellum. Il renonça à utiliser une telle protection, même s’il devait combattre contre un individu malfaisant, il ne pouvait pas tricher. Le sportif, qui sommeillait en lui, l’empêcha d’employer cet équipement salutaire.       

 

Un moment plus tard, il roulait en direction de la vallée du Var, vitres et toit ouvrant ouverts, pour s’oxygéner au maximum et pour retrouver tout son calme. Après qu’il eut roulé pendant une dizaine de minutes, une idée effleura son esprit. Il regretta soudain de ne pas s’être équipé du gilet de protection. L’idée, qu’il n’était pas seul en cause, et que son échec condamnait peut-être Marine à devoir se prostituer dans quelque pays exotique au profit de Pascal, s’imposa à lui. Il jugea qu’il était trop tard pour retourner sur ses pas. Le vin était tiré, il fallait le boire. Cette expression amena un sourire amer sur ses lèvres, lui qui ne buvait plus de vin depuis plusieurs années était peut-être mal préparé à cela. Il secoua la tête pour chasser ces idées pessimistes, il devait se convaincre qu’il était le meilleur et qu’il vaincrait.